Je l’entends
qui respire, si proche, prête à inonder toutes les certitudes, l’étendue qui
n’a jamais su partager ses eaux pour des fleurs d’amandiers. Je l’entends et
retiens mon souffle pour réapprendre le tarissement de l’écume, le gonflement
de la houle, le jaillissement de l’accalmie.
Comme elle,
je réinvente la liquéfaction face à l’amplitude qui m’appelle sans jamais me
dire comment dilapider l’insanité, ni s’il faut s’abstenir ou résister.
Il y a des
silences, pourtant, qu’elle seule saura briser car son déferlement rend à la
terre son mouvement.
Et quand elle
déploie son horizon sans remparts et sa moire, tu ne sauras même pas soutenir
son reflet. Tu reviendras chaque fois l’écouter et plus elle emplira tes yeux,
plus ton regard se videra, absent comme une perte.
Tu tenteras
d’en finir avec l’immensité, d’y incinérer ta vanité, mais sa solitude altière
te déroutera encore et n’apaisera ta
condescendance que son fracas sur les récifs de l’ennui.
Ne vois-tu
pas que suspendue au pas de l’exil, ton âme s’ouvre enfin à la complainte qui
sied à sa douleur ?
Toutes les
confessions conjurées sur ton front ne suffiront pas à retenir la nuit
inachevée sur tes endormissements
Le jour ne
s’est pas levé et la lumière restée comme une plaie ouverte improvise le
cantique de l’hérésie
Recluse dans
cette évidence, je m’éveille à ta psalmodie.
Yeux de jais
mémorial et mains filant l’errance familière d’une autre ville, ni magnifique
ni poltronne, et ses lampions éteints d’ennui, qui tenta la grâce à nos pieds,
sans pouvoir embrasser toute la nostalgie des plaines
Avant le
partage de l’aube, la chevauchée des mots susurrés dans des chambres anodines
où se déjoue la traîtrise du temps… Un souffle intérieur approfondit le
terrassement : douleur ivre de sa douleur, l’effraction dans le brasier
volubile.
Quoi !
Rivé à tant de solitude, le passant aux mille soucis qu’un arbre sans âge avait
sommé de consumer l’étreinte, est revenu !
Le petit
doigt sous l’œil, l’index sur la bouche, le petit doigt pour lisser le sillon
ingrat, l’index pour irriguer la parole en retrait. Et toujours ce presque
rien, nu comme l’attente, suave comme un fruit défendu…
« Tu
t’en vas plein de moi
Et reviens
sans me reconnaître
Comme il m’en
coûte
De laisser
sur ton sein
Les possibles
réalités
Des réalités
impossibles »*
La brume, sur
le passage des nénuphars,
La sagesse du
désir évacuant le poison du désir, dis-tu, toi le sage amoureux ?
Et s’il
valait mieux en maîtriser un seul que d’errer à la recherche de tous les
désirs ?
Crois-tu que
les étoiles soient des bouche-trous de la nuit et que la lumière est passe
muraille de l’éternité, alors que seul l’infini cisèle la caverne des dormeurs
et polit les miroirs de la reine de Saba ?
Pendant ce
temps, un enfant égaré, épiant l’univers à sa fenêtre, proclama :
ôtez-vous de ce contre-jour qui ne saurait m’éblouir car m’est venu le salut
des poètes !
Si proche la connaissance qui me portera sur les
cascades de son rire, sur la trace de ses pas prodiges, emportant la rosée du
voyage dans des cocons bleus où se sont déposés poussière de mémoire et
rédemption.
Et le
sanglot, longtemps traîné dans des contrées arides, s’effrite en mélancolie de
cristal, en dentelle d’écume…
Des lieux,
que la hargne des hommes a épargné, m’ont brusquement rappelé à ta fraîcheur
grain de sable, aux luminosités de siestes reportées aux confins de ta voix, ta
voie, voie…
Il pourrait
même neiger.
Depuis
longtemps, les cercles de feu sont déserts et l’hiver s’est érodé en ruisseaux
insensés. Ici, le manque est intact. Sur mon seuil, ton ombre d’insurgé qui
campe sur l’étrangeté.
Etais-je si
méconnaissable au point que ma fuite te parût si cruelle ?
En attendant
d’écrire, de renoncer à la mort, suspends les signes, avant que tu ne
m’échappes, et mon poème, déferlant entre tes obscurités et ma nuit claire,
parmi les mots rompus à la rumeur et aux murmures, est rassemblé dans ma parole
en retrait.
D’un moment à
l’autre, va monter la crue plus souveraine que le chant jusqu’à la gémissance.
Le temps qui
ne passe pas ne m’est point inconnu…
Avril 1996
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