samedi 22 mars 2014

Dentelle d'écume






Je l’entends qui respire, si proche, prête à inonder toutes les certitudes, l’étendue qui n’a jamais su partager ses eaux pour des fleurs d’amandiers. Je l’entends et retiens mon souffle pour réapprendre le tarissement de l’écume, le gonflement de la houle, le jaillissement de l’accalmie.

Comme elle, je réinvente la liquéfaction face à l’amplitude qui m’appelle sans jamais me dire comment dilapider l’insanité, ni s’il faut s’abstenir ou résister.

Il y a des silences, pourtant, qu’elle seule saura briser car son déferlement rend à la terre son mouvement.

Et quand elle déploie son horizon sans remparts et sa moire, tu ne sauras même pas soutenir son reflet. Tu reviendras chaque fois l’écouter et plus elle emplira tes yeux, plus ton regard se videra, absent comme une perte.
Tu tenteras d’en finir avec l’immensité, d’y incinérer ta vanité, mais sa solitude altière te déroutera encore et n’apaisera  ta condescendance que son fracas sur les récifs de l’ennui.

Ne vois-tu pas que suspendue au pas de l’exil, ton âme s’ouvre enfin à la complainte qui sied à sa douleur ?
Toutes les confessions conjurées sur ton front ne suffiront pas à retenir la nuit inachevée sur tes endormissements
Le jour ne s’est pas levé et la lumière restée comme une plaie ouverte improvise le cantique de l’hérésie
Recluse dans cette évidence, je m’éveille à ta psalmodie.

Yeux de jais mémorial et mains filant l’errance familière d’une autre ville, ni magnifique ni poltronne, et ses lampions éteints d’ennui, qui tenta la grâce à nos pieds, sans pouvoir embrasser toute la nostalgie des plaines
Avant le partage de l’aube, la chevauchée des mots susurrés dans des chambres anodines où se déjoue la traîtrise du temps… Un souffle intérieur approfondit le terrassement : douleur ivre de sa douleur, l’effraction dans le brasier volubile.

Quoi ! Rivé à tant de solitude, le passant aux mille soucis qu’un arbre sans âge avait sommé de consumer l’étreinte, est revenu !

Le petit doigt sous l’œil, l’index sur la bouche, le petit doigt pour lisser le sillon ingrat, l’index pour irriguer la parole en retrait. Et toujours ce presque rien, nu comme l’attente, suave comme un fruit défendu…

« Tu t’en vas plein de moi
Et reviens sans me reconnaître
Comme il m’en coûte
De laisser sur ton sein
Les possibles réalités
Des réalités impossibles »*

La brume, sur le passage des nénuphars,
La sagesse du désir évacuant le poison du désir, dis-tu, toi le sage amoureux ?
Et s’il valait mieux en maîtriser un seul que d’errer à la recherche de tous les désirs ?

Crois-tu que les étoiles soient des bouche-trous de la nuit et que la lumière est passe muraille de l’éternité, alors que seul l’infini cisèle la caverne des dormeurs et polit les miroirs de la reine de Saba ?

Pendant ce temps, un enfant égaré, épiant l’univers à sa fenêtre, proclama : ôtez-vous de ce contre-jour qui ne saurait m’éblouir car m’est venu le salut des poètes !

Si  proche la connaissance qui me portera sur les cascades de son rire, sur la trace de ses pas prodiges, emportant la rosée du voyage dans des cocons bleus où se sont déposés poussière de mémoire et rédemption.

Et le sanglot, longtemps traîné dans des contrées arides, s’effrite en mélancolie de cristal, en dentelle d’écume…


Des lieux, que la hargne des hommes a épargné, m’ont brusquement rappelé à ta fraîcheur grain de sable, aux luminosités de siestes reportées aux confins de ta voix, ta voie, voie…

Il pourrait même neiger.

Depuis longtemps, les cercles de feu sont déserts et l’hiver s’est érodé en ruisseaux insensés. Ici, le manque est intact. Sur mon seuil, ton ombre d’insurgé qui campe sur l’étrangeté.

Etais-je si méconnaissable au point que ma fuite te parût si cruelle ?


En attendant d’écrire, de renoncer à la mort, suspends les signes, avant que tu ne m’échappes, et mon poème, déferlant entre tes obscurités et ma nuit claire, parmi les mots rompus à la rumeur et aux murmures, est rassemblé dans ma parole en retrait.

D’un moment à l’autre, va monter la crue plus souveraine que le chant jusqu’à la gémissance.

Le temps qui ne passe pas ne m’est point inconnu…


 Avril 1996

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